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Věra Jourová : Les Tchèques ont beaucoup à offrir à l’Europe

Věra Jourová est, depuis quatre ans, la commissaire européenne à la Justice, aux Consommateurs et à l’Egalité des genres. Elle a été chargée de représenter la République tchèque à la Commission européenne par l’ancien Premier ministre Bohuslav Sobotka. Bien que son poste ne soit pas directement concerné par les élections au Parlement européen, elle participe à de nombreux débats professionnels et publics et sensibilise le large public aux sujets européens. Les membres de la Chambre de commerce franco-tchèque ont eu l’occasion unique de rencontrer Věra Jourová en personne et de lui poser leurs propres questions.

 

Comment l’UE a-t-elle changé au fil des années?

Elle s’est élargie. Nous avons récemment célébré le 15e anniversaire de son grand élargissement, lorsque Tchèques, Polonais, Slovaques, Hongrois et d’autres peuples ont rejoint les 15 membres de l’époque. Cet élargissement a été un moment historique et a changé l’UE pour toujours. Nous participons depuis à la prise des décisions, à la construction du futur du continent avec notre point de vue et notre sensibilité. Les Tchèques ont apporté à l’UE par exemple leur approche pragmatique et entrepreneuriale, leur réticence à la réglementation excessive, leur culture et leur sens de l’humour.

L’UE est plus interconnectée et la présence d’entreprises françaises en République tchèque en est un bel exemple. Le marché intérieur s’est agrandi, les obstacles pour les affaires ont été supprimés. Mais ce n’est bien sûr pas un projet terminé. Nous avons besoin d’une intégration économique plus équitable, nous devons nous adapter à un monde en pleine mutation, comme par exemple aux récentes tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons réagir avec fermeté et confiance en nous-mêmes.

 

Comment la position de la République tchèque au sein de l’UE devrait-elle être façonnée à l’avenir ?

Je souhaiterais que la République tchèque soit un acteur fort et sûr de lui, qu’elle crée des partenariats stratégiques et n’ait pas peur de critiquer. Nous avons beaucoup à offrir à l’Europe, et, dans une certaine mesure, c’est déjà le cas, nous avons de bons négociateurs, des entreprises et des scientifiques qui ont du succès.

 

Vous avez une expérience des scènes politiques tchèque et européenne. Quelles sont les différences et quelle est la culture politique dans les institutions européennes ?

J’ai le grand avantage d’avoir occupé des postes à tous les niveaux de la politique nationale. J’ai commencé à la mairie de Třebíč. Je suis ensuite entrée au ministère du Développement régional où j’ai commencé au poste de directrice, et ce n’est qu’ensuite que je suis devenue vice-ministre et finalement ministre. Je me sers de cette expérience dans mon travail aujourd’hui encore, je m’efforce de voir quelles retombées il aura sur la vie des gens. La concurrence est forte à Bruxelles et j’ai l’impression de participer à un jeu simultané, d’avoir plusieurs parties en cours à la fois.

La culture politique dans les institutions est très correcte, les gens ont le sentiment de créer quelque chose pour l’ensemble de l’Europe et se comportent de façon exemplaire. J’ai rencontré de nombreux collègues qui sont très fiers de leur travail.

 

La double qualité des aliments fait partie de vos responsabilités. Peut-elle être défendue efficacement et quelles sont les prochaines démarches à entreprendre ?

J’ai proposé un règlement juridique qui mettrait fin à cette pratique de double qualité des aliments et je bénéficie du soutien de l’ensemble de la Commission. Son président, Jean-Claude Juncker, a mentionné la double qualité des aliments comme une des affaires qu’il entend résoudre lors de son discours annuel au Parlement européen.

Nous disposons actuellement d’une législation au niveau européen, qui doit être mise en œuvre au niveau national. Au début du mois de mai, nous avons rencontré le ministre de l’Agriculture tchèque pour discuter de la législation tchèque en la matière. Pour ce qui est de mon travail, nous communiquerons prochainement les résultats du premier test de produits mené à l’échelle de toute l’Europe. Je souhaite continuer à soutenir les autorités nationales dans la réalisation de tests pour ainsi mettre la pression sur ceux qui sont réellement concernés par la double qualité des aliments. Je suis convaincue, qu’avec cette nouvelle législation et une volonté politique forte, nous pourrons mettre fin à cette pratique.

 

Dans quels domaines la France et la République tchèque pourraient-elles coopérer davantage ?

Le principe fondateur de l’UE est une coopération constante dans tous les domaines. Nous devrions apprendre à mieux nous connaître tant sur le plan professionnel que personnel. Nous devrions avoir davantage d’étudiants tchèques en France dans le cadre du programme Erasmus, et inversement. Cela nous permettrait de mieux nous comprendre et de coopérer, par exemple en matière de commerce ou de marché intérieur. Les défis communs, tels que le changement climatique, l’intelligence artificielle ou la crise économique future, seront tout simplement trop grands pour qu’un pays puisse les affronter seul. Le moment est venu de jeter des ponts et d’approfondir les relations pour pouvoir s’en servir dans les moments difficiles.