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Quelles relations la France et la République tchèque ont-elles au sein de l’UE et partagent-elles la même vision de l’Europe ?

L’année dernière, nous avons célébré le centenaire des relations bilatérales entre la France et la République tchèque. Les deux pays étant membres de l’Union européenne, leurs relations et leur coopération bilatérale possèdent également une dimension européenne. Tandis que la France et son président pro-européen Emmanuel Macron s’emploient à relancer le processus d’intégration dans l’UE, la réputation de la République tchèque a été endommagée en raison essentiellement de sa position négative sur la question de la migration.

Nous sommes les témoins d’une approche active de la France d’une part et d’une stagnation et d’une politique de refus de la Tchéquie d’autre part. Les deux pays peuvent-ils donc conserver des relations stables au niveau européen et collaborer efficacement ? Leurs visions de l’avenir de l’UE sont en effet assez distinctes.

 

Des partenaires traditionnels

L’origine des relations entre la France et la République tchèque remonte à la fin de la Première Guerre mondiale. Elles ont ensuite été rétablies après la chute du régime communiste quand la Tchéquie, après avoir retrouvé sa liberté, a voulu adhérer aux structures démocratiques occidentales qui incluaient l’UE.

Pourtant, selon Eliška Tomalová, de l’Institut des études internationales de l’Université Charles, « pas plus pour la Tchéquie que pour la France, les relations mutuelles après la fin de la Guerre froide ne constituaient une priorité de leur politique étrangère. »

Leur relation a donc pris une dimension européenne pour la première fois en 2004 suite à l’adhésion de la République tchèque à l’UE. Traditionnellement, la France était opposée à l’élargissement de l’UE. Néanmoins, dans le contexte historique, l’adhésion des pays de l’Est, dont la République tchèque, était tellement évidente que le processus a été soutenu y compris par la France. C’est du moins ce que pense Zdeněk Sychra, de la Faculté des sciences sociales de l’Université Masaryk, qui s’intéresse à la problématique de l’adhésion depuis longtemps.

« Les craintes de la France relatives à la stabilité de l’UE après son élargissement ont finalement entraîné un ralentissement du processus et retardé l’intégration des nouveaux membres à 2004. Par ailleurs, leur adhésion a été précédée d’une réforme interne de l’UE », ajoute-t-il.

La seconde moitié de l’année 2008, marquée par la présidence française du Conseil de l’UE a constitué une étape importante pour les relations franco-tchèques au niveau européen. Suivie par la présidence tchèque au premier semestre 2009, la coopération entre les deux pays a permis d’activer et d’approfondir leurs relations – entre autres raisons parce qu’un trio de pays assurant successivement la présidence travaille ensemble pour mettre en place un programme commun pour 18 mois.

Depuis 2008, la coopération franco-tchèque repose sur plusieurs partenariats stratégiques, qui sont mis en œuvre dans le cadre de « Plans d’action » pluriannuels. D’après Tomalová, cette coopération entre Paris et Prague dans le cadre de la présidence tournante a contribué au rétablissement des relations réciproques. Elle ajoute que le moment clé a été la première étape du Plan d’action 2011–2013.

A cette époque-, l’énergie nucléaire était le dossier prioritaire. Compte tenu des approches similaires des deux pays dans ce domaine, l’énergie nucléaire est devenue le principal sujet de leur coopération au niveau européen.

Pour le reste, Français et Tchèques étaient toujours plutôt en désaccord dans les autres domaines. « Quant aux priorités géographiques au sein de l’UE, alors que la France soutenait la coopération avec les pays méditerranéens, la Tchéquie était orientée vers les Balkans et les pays d’Europe de l’Est », estime Tomalová dans son texte sur la politique étrangère de la République tchèque vis-à-vis de la France.

 

Des relations stables dans un environnement instable

Bien que l’Europe soit confrontée à diverses crises telles que la migration, le Brexit ou les changements politiques, les relations franco-tchèques restent stables.

« Je ne pense pas que les relations franco-tchèques dans l’UE aient beaucoup changé. Dans une certaine mesure, elles ont été influencées par l’élection d’Emmanuel Macron, qui est probablement le premier président qui s’intéresse véritablement à la situation en Europe centrale. C’est bien entendu un facteur positif pour les relations bilatérales, mais qui n’a pas non plus modifié fondamentalement leur dynamisme », affirme Martin Michelot, du think-tank Europeum.

Un autre tournant important a été la réunion du format dit d’Austerlitz (aussi appelé triangle de Slavkov) entre la Tchéquie, la Slovaquie et l’Autriche, qu’Emmanuel Macron a rejoint en 2017.

D’après Tomalová, cette rencontre a été importante car elle a permis à ses acteurs de discuter du détachement des travailleurs transfrontaliers, question controversée à l’époque. Au-delà, elle a surtout été l’occasion de pour la France d’interagir avec les pays d’Europe centrale.

La coopération actuelle s’inscrit dans le cadre du Plan d’action du partenariat stratégique pour la période 2018–2022. Son objectif est d’augmenter la fréquence des rencontres bilatérales entre représentants de l’État, ainsi que de renforcer au niveau européen la coopération entre les organes de coordination pour les politiques de l’UE. Le Plan d’action se focalise par exemple sur la défense, la justice et les affaires intérieures, les affaires économiques et financières ainsi que sur l’environnement, les transports, l’énergie et la politique sociale.

D’après Michelot, les principaux domaines de coopération au niveau européen sont la défense et la stratégie numérique. « Les deux pays partagent la même position par exemple sur la taxation des géants du web. Ces domaines ont le potentiel de créer un environnement pour un futur développement de la coopération dans l’UE, mais il y a encore pas mal de travail. »

 

Un Macron ambitieux et des Tchèque passifs

Depuis son élection, Emmanuel Macron présente des visions ambitieuses de l’avenir de l’Europe et de l’intégration au sein de l’UE. En 2017, tout d’abord, dans son discours à la Sorbonne, il a exposé son projet d’approfondissement de l’intégration dans les domaines de la défense, de l’écologie, de la migration, de la politique agricole commune, de la numérisation et de la zone euro.

Cette année, le président français a de nouveau présenté au public sa vision de l’Europe reformée. Celle-ci comprend par exemple le projet de création d’une Agence européenne de protection de la démocratie, des règles communes pour l’acceptation et le rejet des demandes d’asile ou encore le renforcement de la coopération en matière de défense et de politique sociale.

Les relations franco-tchèques sont stables et d’après Martin Michelot, elles ne sont « ni excellentes, ni mauvaises, mais assez bonnes ». Pourtant, les attitudes des deux pays sur la question de l’intégration diffèrent de façon assez importante. À l’exception du soutien général à la coopération dans le domaine de la défense et du strict rejet des quotas de migrants, la position tchèque est illisible. Grâce à la rhétorique ouverte d’Emmanuel Macron, les objectifs français sont largement connus, alors que la République tchèque reste muette. Tout cela ne contribue pas au développement positif des relations. « Les Français ressentent toujours une certaine frustration qui découle de la réaction insuffisante de la République tchèque aux propositions et visions de Macron », estime Michelot.

À part la déclaration du Premier ministre Andrej Babiš, qui considère les propositions et visions du président français comme étant « hors de la réalité », les Tchèques n’ont pas vraiment réagi. Néanmoins, Michelot souligne que si les partis d’Emmanuel Macron et d’Andrej Babiš sont élus lors des élections européennes en mai, ils se retrouveront au sein de la même fraction des libéraux (ALDE) au Parlement, ce qui pourrait influencer positivement les relations.

Plus généralement, un refroidissement de la coopération entre les deux pays n’est pas à craindre : d’ores et déjà, Paris et Prague se préparent à la présidence du Conseil de l’UE, dont la République tchèque aura la responsabilité lors du deuxième semestre 2022.

 

Auteur / Autor : Kateřina Zichová, Euractiv